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Essai : comment interpréter la fréquente persistance de la foi ?
Via une approche inhabituelle « psycho-neuroscientifique » du phénomène religieux ?
Par Michel THYS, croyant protestant jusqu’à 20 ans par tradition familiale, athée depuis 61 ans.
En 9 pages, le 25 février 2020.
Introduction.
Même si je suis partisan du « principe de parcimonie » de Guillaume d’OCCAM, il n’est évidemment pas question de simplifier le phénomène religieux en le réduisant à des « mécanismes » psycho-neurophysiologiques et génétiques ! D'autant moins du fait de la complexité inimaginable du fonctionnement cérébral humain, et parce que la foi, malgré l'état relativement avancé des observations par IRM fonctionnelle, par tomographie par émission de positons, etc., est encore loin de faire l'objet d'une véritable expérimentation scientifique, réfutable, « falsifiable » au sens de Karl POPPER.
Comprenons--nous bien : certes, il est acquis que l’expérience religieuse a lieu au niveau du striatum (il régit le « circuit de récompense et de renforcement), ainsi qu’au niveau des aires frontales (toutes deux d’ailleurs communes aux croyants et aux athées)., mais cela ne permet évidemment pas de conclure à l’existence ou à l’inexistence de Dieu ! D’autant moins qu’il est impossible de démontrer une inexistence, sauf en mathématiques, par l’absurde, et que les religions ne pourront jamais démontrer l'existence réelle et objective de dieux perpétuellement absents (selon elles, « la foi se vit ! »).
Certains philosophes théistes tentent néanmoins, désespérément, de rendre la foi intellectuellement acceptable, par exemple l'Américain Alvin PLANTINGA, avec ses « Garanties » métaphysiques évidemment subjectives et orientées via des sophismes, des syllogismes, des rationalisations a posteriori et des ratiocinations jésuitiques. Pour un scientifique, au contraire, le doute doit toujours prévaloir car il n’y a jamais de certitudes puisqu’ un élément nouveau, aussi improbable soit-il, pourrait théoriquement survenir. C’est pourquoi sans doute le journaliste scientifique belge feu Paul DANBLON se déclarait « agnostique, mais à connotation, à hypothèse de travail athée ».
Pour ma part, (ce n’est pas une pirouette !), il me semble que les dieux existent quand même, mais seulement dans la tête des croyants, à condition qu’une religion les y aient mis … À mes yeux, les neurosciences et les sciences humaines, dont la psychologie, « suggèrent » que l’existence de Dieu n'est que subjective et imaginaire ...
Quoi qu’il en soit, il faudra sans doute attendre encore au moins un siècle pour que la neurophysiologie comprenne comment la pensée, la foi, « l'esprit », « l’âme ? » (qui sont abstraits) sont « sécrétés », « émergent », « émanent » des neurones (qui sont concrets), si tant est qu’elle y parvienne un jour … !
Le point de vue des scientifiques :
Certains scientifiques, agnostiques, déistes ou athées, ont contribué, peu ou prou, à l'approche neurobiologique de la foi, par exemple Henri LABORIT, Antonio DAMASIO, Jean-Pierre CHANGEUX, Patrick JEAN-BAPTISTE, dans « Biologie de Dieu » ou plus récemment Thierry RIPOLL, dans « De l’esprit au cerveau ».
D’autres par contre, notamment Jean-Didier VINCENT, Pascal BOYER, Richard DAWKINS, Christian de DUVE, Henri ATLAN, …me semblent plus réticents à s’engager dans le domaine religieux, celui-ci ne relevant pas du « comment » mais du « pourquoi » et étant donc jugé personnel, délicat et tabou
En revanche, deux neuroscientifiques croyants, entre-autres, qui abusent à mes yeux de leur liberté d'expression, à savoir le médecin anesthésiste Jean-Jacques CHARBONIER qui a écrit « La vie après la mort », et le Dr Mario BEAUREGARD, Québécois neuroscientifique qui a écrit « Du cerveau à Dieu : plaidoyer d'un neuroscientifique pour l'existence de l'âme » ( ! ), et en 2018 « Un saut quantique de la conscience pour se libérer enfin de l'idéologie matérialiste » ( ! ).
Ne pouvant s'affranchir de l'imprégnation de leur croyance religieuse, ces auteurs spéculent sur l'ignorance relative des neurosciences (pour expliquer par exemple les EMI), et ils prônent un nouveau « paradigme post-matérialiste ». Tous deux sont en effet devenus croyants (et le sont restés) depuis qu'ils ont attribué à une intervention divine leur guérison (d'une maladie rare à 8 ans pour l'un et d'un accident à 9 ans pour l'autre : ils présupposent donc l'existence de Dieu par "pétition de principe" !) ... Étrange quand même pour des « scientifiques » ...
Financé par la très chrétienne « « Fondation Templeton », le Dr BEAUREGARD avait même déjà tenté de démontrer « scientifiquement » l'existence de Dieu en recherchant dans le lobe temporal droit « l'antenne », qu' « Il » y aurait placée pour recevoir sa « Révélation » : en vain, bien évidemment.
D'abord parce qu'aucun dieu ne s'est jamais manifesté concrètement, et ensuite parce que, du fait des interconnexions éminemment complexes et instables entre le cerveau émotionnel (d’où émane la foi) et le cerveau rationnel (d’où procède la pensée), selon le schéma simplifié mais pédagogique de Mac LEAN (qui n’avait pas pris en compte ces interconnexions), c'est presque tout le cerveau qui est concerné (cf. SAVER & RABIN), étant entendu que l'émotionnel prédomine toujours chez un croyant.
Le point de vue des philosophes :
Les actuels philosophes, anthropologues ou sociologues athées ne me semblent pas, ou alors très peu, s'intéresser à l'origine de la foi et à sa fréquente persistance : ni les Français André COMTE-SPONVILLE, Michel ONFRAY, Henri PENA-RUYZ, par exemple, pas plus que les Belges Guy HAARSHER, Jacques SOJCHER, Marcel BOLLE DE BAL, Luc NEFONTAINE, Baudouin DECHARNEUX, Jacques RIFFLET, … Craindraient-ils que les neurosciences bouleversent la réflexion philosophique ?
Pourtant, plutôt que de se résoudre au confortable « mystère de Dieu », n'est-il pas légitime de tenir compte des découvertes des neurosciences, aussi partielles soient-elles encore, afin de compléter l'approche traditionnelle du phénomène religieux (psychologique, philosophique, métaphysique, historique, théologique, anthropologique, sociologique) … ?
Trois questions fondamentales :
1. Homo religiosus ?
En très bref, c'est sans doute pour compenser sa faiblesse corporelle que, pour s'adapter à la vie en plaine et voir plus loin, les premiers hominidés se sont redressés il y a au moins 200.000 ans et que l'adaptation à l’environnement a lentement hypertrophié leur néocortex préfrontal et leur larynx. Celui-ci, devenant capable de langage articulé, le néocortex préfrontal a acquis la capacité, en quelque 50.000 ans, d’imaginer un nouveau « mécanisme de défense ». D'abord en s'adressant à des « esprits » (d'où les superstitions, l'animisme, le chamanisme, ...), ensuite à des dieux protecteurs et anthropomorphes, plus tard à un seul, pour tenter d’apaiser sa colère, ou de gagner ses faveurs, par des sacrifices, des prières, etc.
Michel de PRACONTAL écrit d'ailleurs dans « L'imposture scientifique en dix leçons » (2005), page 141 : « La pensée magique n'a jamais disparu de nos cultures supposées modernes et rationnelles, probablement parce qu'il s'agit d'un mode de raisonnement inhérent à la condition humaine. La pensée dite rationnelle n'a rien de naturel, c'est une construction, une ascèse, un exercice qui demande un travail continuel. L'éternel « retour de l'irrationnel » n'est en fait que la manifestation récurrente d'une forme de pensée qui ne nous a jamais quittés ».
Dans « La religion est-elle innée ? », le professeur de psychologie Vassilis SAROGLOU de l'Université catholique de Louvain, évoque aussi « l'existence de prédispositions génétiques à la religiosité ». Mais j'observe qu’elles ne s'actualisent que si elles sont exploitées par un milieu croyant. Il le reconnaît : « À côté de cette part génétique, les influences éducatives précoces décident en grande partie de l'orientation religieuse ou athée d'un enfant ».
A contrario, la croyance religieuse n'apparaît pas chez les enfants de parents athées, sauf influences religieuses ultérieures.
2. « Liberté religieuse » ?
L'être humain est généralement persuadé qu'il dispose de son « absolue liberté de conscience », puisqu’elle est décrétée dans les Constitutions démocratiques, et donc aussi de son libre arbitre. Pourtant, du fait de nos nombreux déterminismes le plus souvent inconscients (héréditaires, hormonaux, éducatifs, culturels, religieux, idéologiques, sociaux, politiques, etc.), nous sommes moins libres que nous ne le pensons, notre amour-propre ou notre orgueil dussent-ils en souffrir. Le neurobiologiste Henri LABORIT, l'avait bien compris, écrivant, dans « Éloge de la Fuite » : « Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d’adulte, une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais ».
Répondant à Jacques LANGUIRAND, de Radio Canada, il ajoutait même :« Vous n’êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni de tous les automatismes qu’on a introduits dans votre cerveau, et, finalement, c’est une illusion, la liberté ! ». Ou encore : « Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici que cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change. » (dernière phrase du film, « Mon oncle d'Amérique » (1980), écrit par Alain RESNAIS.
3. La foi : un choix vraiment libre ?
Le professeur Vassilis SAROGLOU écrit : « Le fait d'avoir la foi (...)n'est pas tellement, d'un point de vue statistique, une question de choix. C'est plutôt une question de continuité ou d'assimilation de tout le bagage mental ou affectif que l'on a reçu par le biais de la socialisation, qu'il s'agisse de croyance, de pratique, d'émotion ou de valeurs ».
Et pour cause : dans nos pays démocratiques, «la liberté constitutionnelle de conscience et de religion » me paraît plus théorique et symbolique qu’effective, parce que l’émergence de la liberté de croire ou de ne pas croire est généralement compromise, à des degrés divers :
Elle l'est d’abord par l’imprégnation d’une éducation religieuse familiale précoce (facile : le tout jeune enfant est déjà naturellement animiste), éducation forcément affective puisque fondée sur l'exemple et la confiance totale envers les parents. Bien qu’unilatérale et en l’absence d’esprit critique à cet âge, cette influence est légitime, mais à mes yeux préjudiciable …
Elle l’est ensuite parce que, confortée par celle d’un milieu scolaire, surtout s’il est confessionnel, identitaire et plus tard communautariste, elle impose, fût-ce à des degrés divers et autant qu’il est encore possible, la soumission à un dieu, à un prophète, à des livres « sacrés », et qu’elle occulte volontairement les alternatives non confessionnelles de l'humanisme laïque, lequel développe au contraire notamment l'autonomie de la conscience morale, l’esprit critique, la responsabilité individuelle, la découverte et à l'acceptation de la différence de l'autre (ce qui est ma conception de la tolérance).
À mes yeux, l’Histoire confirme d'ailleurs abondamment la piètre aptitude de toutes les religions et idéologies politiques à développer une conscience morale autonome, le respect de la dignité humaine et celui des valeurs humanistes, réaffirmées par la « Déclaration Universelle des Droits Humains » de 1948. Par contre, elle me semble témoigner abondamment de leur remarquable aptitude à inciter, dès l’enfance, à la soumission à un dieu, à un prophète, à un texte « sacré », ou à un dictateur ...
Je pense même que l'absence totale de respect de la vie humaine du léninisme, du stalinisme et du nazisme, bien qu'ils ne soient que partiellement comparables, n'est pas due à leur idéologie politique soi-disant « athée » (puisque l'athéisme est seulement une option philosophique rationnelle), mais qu'elle résulte de la croyance religieuse initiale des « dominants » que furent Lénine, Staline, Hitler, et de celle des « dominés » qu'ils ont d'autant plus facilement endoctrinés que la soumission religieuse initiale a constitué un terreau favorable à leur soumission idéologique et politique.
Origine psychologique, éducative et culturelle de la foi.
Les influences religieuses précoces, familiales, éducatives et culturelles, bref la transmission des « mèmes » religieux qui sont à l’origine de la foi avaient déjà été pressenties et dénoncées par HELVETIUS dans :« De l’homme posthume », 1773). Jean ROSTAND le cite en 1952 : « Ce qui est remarquable dans ce livre d'Helvétius, c'est la manière dont il explique comment les petits évènements de la vie infantile, et, notamment, les facteurs affectifs du milieu familial, peuvent entraîner une différenciation profonde des caractères et des intelligences. Il se montre là indubitablement un précurseur des conceptions freudiennes ».
Ces influences religieuses précoces sont à présent reconnues si déterminantes qu’elles ne sont plus du tout contestées par les psychologues, même religieux (j’en citerai plusieurs). Elles permettent d’ailleurs de comprendre, au moins partiellement, la persistance de la foi à l’âge adulte. Mais comment interpréter le fait qu’à notre époque, même si l’athéisme progresse lentement un peu partout sous nos latitudes, sept milliards au moins d’humains adultes, dont d’éminents scientifiques, restent croyants ou au moins déistes, totalement imperméables aux arguments rationnels et scientifiques à l’égard par exemple de la « Création » ?
C’est bien sûr d’abord parce que, dans les pays non intellectualisés, marqués par des croyances ancestrales ou par les évangélisateurs catholiques, ces arguments sont inexistants. De fait, toutes les religions les ont toujours volontairement occultés, de même que la découverte des options philosophiques non confessionnelles. En l’absence d’un choix libre et éclairé, la « liberté de religion », bien qu’inscrite dans les Constitutions démocratiques, me paraît plus symbolique qu’effective …
Je m’explique ainsi que, même dans les pays intellectualisés, innombrables sont encore ceux pour qui « il n’y a pas d’effets sans cause, et il doit donc bien y avoir une cause au merveilleux ordonnancement de la nature, donc quelque chose d’un autre ordre, d’un autre niveau, qui dépasse notre faible entendement » etc… Cette croyance déiste en une « Intelligence Supérieure », en un « Grand Architecte de l’Univers » ou celle en un « Dessein Intelligent », substitut subtil du créationnisme, est certes légitime mais me paraît tout aussi subjective et imaginaire que la foi.
En effet, toutes ces croyances ont en commun celle d’un « commencement », notion anthropomorphique, y compris de l’Univers, pourtant contestable à mes yeux, en regard de la constatation, certes chimique mais généralisable, de LAVOISIER : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme », ce qu’avait déjà compris HÉRACLITE (« Panta rhei ! » : Tout coule, tout change, tout se transforme).
À mon humble avis, une découverte neurophysiologique, apparemment non exploitée, pourrait peut-être constituer une hypothèse explicative pertinente et complémentaire de la fréquente persistance de la foi. J’y reviendrai.
Les contributions de psychologues et de pédiatres.
En 1966 déjà, le psychologue-chanoine Antoine VERGOTE, alors professeur à l’Université catholique de Louvain, avait constaté, dans « Psychologie religieuse », sans doute à son grand dam, qu'en l’absence d’éducation religieuse (je résume), la foi n’apparaît pas et que la religiosité à l’âge adulte en dépend (donc aussi l’aptitude à imaginer un « Père » protecteur, « agrandi, substitutif » et anthropomorphe, mais qu'il qualifiait d' «authentique, épuré, Présence Opérante du Tout-Autre ».
Ainsi, page 294 :
« La disponibilité religieuse de l’enfant ne prend forme qu’à la condition d’avoir été précocement éduquée. Toutes les observations l’ont confirmé : l’influence des parents est le facteur le plus décisif dans la formation des attitudes religieuses. (…) Les gestes et le langage religieux des parents, la célébration des fêtes religieuses marquent de façon indélébile les souvenirs d’enfance de nombreux adultes, et déterminent leurs sentiments d’appartenance religieuse. (…). L’extraordinaire permanence des attitudes religieuses, que de nombreuses enquêtes ont mis en lumière, s’explique certainement par l’influence prépondérante de l’éducation familiale. » (…).
Son successeur actuel, Vassilis SAROGLOU, le confirme : « Le fait d'avoir eu des parents religieux et d'avoir reçu une éducation religieuse est le facteur le plus important pour déterminer les probabilités d'être, de rester ou de redevenir soi-même croyant, que ce soit à l'adolescence ou ultérieurement à l'âge adulte ».
La pédiatre Catherine GUEGUEN, sans pour autant évoquer les influences religieuses, le confirme :
● « L’enfant : cerveau fragile, immature, malléable, vulnérable, une éponge … ».
« Les expériences affectives que va vivre l’enfant vont modifier le développement
de son cerveau, son comportement, l’expression de ses émotions et sa santé physique ».
« Le développement du cerveau de l’enfant se fait surtout les 5 premières années,
sous la dépendance de processus génétiques et environnementaux ».
● « L’enfant est extrêmement influencé par les adultes autour de lui, il apprend via
les neurones miroirs (imitation) ».
●Amygdale cérébrale (centre de la peur) : parfaitement mâture dès la naissance, elle
déclenche la sécrétion des molécules de stress et stocke des souvenirs inconscients
chez le petit qui continuent à agir chez l’adulte».
Idéalement, c’est à l’adolescence que chacun devrait pouvoir se forger ses options fondamentales, ses « vérités » personnelles, partielles et provisoires au contact de celles des autres, en connaissance de cause et aussi librement que possible. Je considère dès lors qu’imposer une soumission totale à un jeune enfant, fût-ce « de bonne foi », constitue un crime contre l’esprit (exemple extrême : des parents musulmans imposent à leur tout jeune enfant d’apprendre le Coran par cœur, sans même savoir lire). Heureusement, de nos jours, du moins dans la plupart des pays européens, de plus en plus de parents croyants s'abstiennent enfin d'imposer leur religion à leurs enfants, qui y seraient d'ailleurs le plus souvent rétifs. Ce n'est hélas pas encore le cas des parents évangéliques et musulmans ...
Interprétation « neurophysiologique ».
La « littérature » ne me semble pas tenir compte d’une importante découverte neurophysiologique : si les hippocampes (centres de la mémoire cognitive) sont encore immatures à l’âge de 2 ou 3 ans (on n’a aucun souvenir avant 4 ou 5 ans), les amygdales (du cerveau émotionnel), centres de la peur, elles, sont déjà matures dès la naissance, voire in utero, et donc déjà capables de stocker inconsciemment le souvenir d'événements à forte charge affective ou des souvenirs émotionnels tels que, par exemple, l'atmosphère « envoûtante » d'une église, les prières et autres comportements religieux des parents, leurs inquiétudes métaphysiques, sans doute reproduits via les neurones-miroirs du cortex pariétal inférieur et de l'aire de Broca.
Le Prix Nobel de médecine Christian de DUVE, dans « Sept vies en une » (2013, page 307), était conscient « de l’importance des traces que les influences épigénétiques que j’ai subies dans les tout premiers temps de ma vie ont laissées dans mon cerveau » (…) L’endoctrinement religieux auquel j’ai été exposé dans mon enfance semble avoir gravé dans mon cerveau des traits presque indélébiles, que mon rejet intellectuel ultérieur de mes convictions n’a pas réussi à effacer ».
Ayant soumis mon texte à sa critique, Christian de DUVE me répondait le 3 janvier 2012 (un an avant son euthanasie volontaire à 95 ans) : « Cher Monsieur, J'ai lu votre article avec grand intérêt et y ai retrouvé des sujets de concordance. Malheureusement, le poids des années et les responsabilités qui me restent me mettent dans l'impossibilité de poursuivre le dialogue. Comptant sur votre compréhension, j'espère que vous m'excuserez. Bien à vous, Christian de DUVE ».
Ces « traces » neuronales, appelées « engrammes », sont en effet indélébiles et se renforcent par la plasticité neuronale et par l'épigénétique au fur et à mesure de la répétition des expériences religieuses, ou méditatives des bouddhistes, de la même manière que se renforce le cortex moteur régissant les doigts d’un pianiste, par exemple.
Les observations psycho-neurophysiologiques suggèrent que le cerveau rationnel, le cortex préfrontal notamment, et donc aussi bien l’esprit critique que le libre arbitre ultérieur s’en trouvent inconsciemment « anesthésiés » à des degrés divers, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect ultérieurs, du moins en matière de foi.
Même André COMTE-SPONVILLE se dit « athée fidèle » à sa croyance enfantine aux « valeurs chrétiennes », telles que « l'amour du prochain ». « Si je suis athée, c’est aussi parce que je préférerais que Dieu existe » !
Les conversions religieuses.
Dans cette optique, les conversions religieuses, mais aussi la « Révélation », me semblent au moins partiellement explicables. Lorsqu’on bascule de l’incroyance vers la croyance, ou d’une forme de croyance à une autre, il se produit en un instant une augmentation de l'activité du noyau caudé notamment et un bouleversement d’hormones et de neurotransmetteurs, un peu comme, mutatis mutandis, dans le cas du coup de foudre amoureux …
Je m’explique par exemple, la conversion de Paul CLAUDEL en entendant le Magnificat de BACH à N-D de Paris le 25 décembre1886, lorsqu’il a vraiment pris conscience de sa foi. Mais il ignorait forcément à l’époque que l’environnement sensoriel de cette cathédrale (son gigantisme, son décorum, ses dorures, le son écrasant des grandes orgues, les chants des choristes, l’odeur d’encens,…) allait affecter ses cinq sens et provoquer en lui un bouleversement psychophysiologique d'hormones et de neurotransmetteurs, au niveau notamment de la production de la phényléthylamine, de l’ocytocine, de la sérotonine et de la dopamine, au point de faire disjoncter son cerveau rationnel au profit de son cerveau émotionnel : « En un instant, mon coeur fut touché, et je crus ». Ce n’est d’ailleurs pas surprenant puisque les sensibilités poétique, musicale, religieuse, ont des « localisations » voisines, ce qui facilite les interactions.
Les exemples de « hapax existentiel » (cf Michel ONFRAY), c'est-à-dire de circonstances exceptionnelles laissant des traces physiologiques et psychologiques indélébiles, sont très nombreux : par exemple, la conversion du docteur Alexis CARREL, (prix Nobel mais ensuite eugéniste en 1933). Il avait perdu la foi pendant ses études, et l’a retrouvée lors d’un voyage à Lourdes, ou celle du romancier Eric-Emmanuel SCHMITT, à 29 ans, perdu sous le firmament glacial du Sahara (même lorsqu’on est issu comme lui d’une famille incroyante, l’influence inconsciente de deux mille ans de judéo-christianisme se réveille chez certains incroyants en danger de mort, notamment).
Autre exemple célèbre de conversion : le « pari de Pascal » ! Je ne sais plus qui a écrit :
« Ce philosophe, lors de la « nuit du Mémorial » du 23 novembre 1654, connut aussi un état d'exaltation extrême et il nota sur un papier ses sensations, ses émotions, et les sentiments que lui inspirèrent ces minutes d'une telle densité. Le texte s'acheva sur ces mots : « Joie, joie, joie, pleurs de joie » : Pascal connut ce soir-là un authentique ébranlement physiologique dont il ressortira métamorphosé ».
Une conclusion ?
Au-delà de l’existence historique probable des prophètes Jésus et Muhammad (qui n’ont évidemment jamais dit tout ce qu’on leur a fait dire depuis des siècles !), je condamne toutes les religions en fonction de la soumission qu'elles imposent, certes à des degrés divers (hélas totale dans le cas de l'islam), ainsi que le prosélytisme, surtout catholique et évangélique, car il occulte autant que possible, malhonnêtement, la découverte des options philosophiques non confessionnelles.
Mais que je respecte les croyants (sauf les fanatiques) qui en sont les victimes involontaires, et ce d’autant plus s’ils ont eu la possibilité, idéalement à l’adolescence, de choisir entre croire OU ne pas croire, en connaissance de cause et aussi librement que possible.
J'estime en effet que les croyances religieuses resteront toujours légitimes et respectables, a fortiori tant que l’on n’aura pas pris conscience de la malléabilité et de la vulnérabilité du jeune cerveau humain, et aussi du fait de l'impossibilité, pour les moins que centenaires que nous sommes, d’imaginer une durée aussi colossale que des centaines de millions d’années, et donc son influence sur les mécanismes évolutifs et adaptatifs qui se sont succédés jusqu'au cerveau humain.
Néanmoins, j'estime que la pire conséquence de son évolution a été la capacité d'imaginer des dieux protecteurs et antagonistes, à l'origine de l'intolérance et de la plupart des guerres. Et puisque les dieux n'ont jamais donné le moindre indice de leur existence concrète et donc objective, ils n'ont donc selon moi, qu'une existence subjective, imaginaire et dès lors illusoire. Et encore, je le répète : seulement à la suite d'une éducation religieuse précoce confortée par un milieu croyant unilatéral.
Il est vrai que, dans cette optique restrictive, « tout le reste » (les religions, la théologie, les livres « saints », etc. « n’est plus que littérature » et n’a plus d’intérêt que pour l’histoire des croyances et l’évolution de la pensée … Pire : cela ne répond pas au besoin d’espérance, d’appartenance à une communauté, aux inquiétudes métaphysiques des croyants, etc. …
Puisse donc l’humanisme laïque, par définition non prosélyte, s’orienter dans quelques décennies vers un système éducatif qui développerait, pour le plus grand nombre, l’esprit critique et une force intérieure qui immuniseraient dès l’enfance contre les inquiétudes métaphysiques, devenues de nos jours infondées car imaginaires (jusqu’à preuve très improbable du contraire), ainsi que contre toute transcendance donnant certes un sens à l’existence, mais qui n’est pas celui que chacun doit pouvoir donner librement à la sienne …
Cette libération, cet affranchissement, cette émancipation peut notamment avoir lieu par le rire, car « le rire tue la peur, et sans la peur il n’est pas de foi » » (repris par Pierre KROLL, inspiré par Umberto ECO, dans « Le nom de la rose ».
Hélas, un tel changement de paradigme éducatif est encore utopique du fait de l’actuelle conception laxiste et électoraliste de la « tolérance », de la « neutralité » et de la « totale liberté d’éducation parentale » aussi unilatérale et communautariste soit-elle parfois …
Dois-je ajouter que je ne cherche pas, malgré les apparences, à convaincre que mon point de vue d’athée soit plus pertinent que celui d’un croyant, d’autant moins que ce dernier préfère souvent, surtout après l’âge de 25 ans environ, ne pas risquer de se déstabiliser dans ses certitudes ou de se décrédibiliser. Je cherche au contraire à susciter des réactions susceptibles d'infirmer la validité de mes hypothèses explicatives, même si elles me semblent être partiellement confortées notamment par l'Israélien Yuval Noah HARARI dans « Sapiens » 2015 et dans « Homo Deus » 2017, ou par Vitaly MALKIN dans « Illusions dangereuses ») 2018, ou encore par Thierry RIPOLL dans « De l'esprit au cerveau » (2018).
Par contre, pour Boris CYRULNIK, qui dit (et semble s'en réjouir) : « l'aspect magique revient ». Il estime que la « Psychothérapie de Dieu » « (2017) (en fait :« par » Dieu ?) « nous aide à affronter les souffrances de l'existence et à mieux profiter du simple bonheur d'être », sans même évoquer les alternatives offertes, hélas trop modestement, par l'humanisme laïque et par la morale laïque, non prosélyte. Celle-ci développe pourtant un esprit critique indispensable non seulement à un choix effectif entre croire ou ne pas croire, mais aussi le respect à tous égards, encore insuffisamment développé dès le plus jeune âge, tant par la famille que par l’école : autant celui que l’on doit à sa propre personne (piercings, tatouages, drogues, …) que, surtout, celui dû à l’autre et à sa différence. En témoignent, a contrario, les dérives actuelles que sont le « cyberharcèlement » , etc. engendrées depuis des années par l’addiction au smartphone et aux autres écrans ludiques qui ruinent la communication interpersonnelle (et accessoirement la lecture et l’orthographe … ).
Finalement, pour revenir à notre propos : « À chacun sa « vérité » à propos des croyances religieuses ? Je ne le pense pas : en regard des valeurs humanistes universalisables, parce que bénéfiques à tous et partout, j’estime que toutes les « vérités » ne se valent pas ...
Michel THYS à Ittre (Belgique).
Quelques références bibliographiques :
- BEAUREGARD, Dr Mario « Du cerveau à Dieu » « The spiritual brain », « Un saut quantique de la conscience pour se libérer enfin de l'idéologie matérialiste » (!) (2018).
- BOLLE de BAL, Marcel & Vincent HANSSENS « Le croyant et le mécréant ».Mols 2008.
- BOYER, Pascal « Et l’homme créa les dieux ».
- CHANGEUX, Jean-Pierre « L’homme neuronal »1993, « L’homme de vérité » 1994.
- CHARBONIER, Dr Jean-Jacques « La vie après la mort ».
- COMTE-SPONVILLE, André : « L'esprit de l'athéisme ». Albin Michel 2006.
- CRICK, Francis « Une vie à découvrir »
- CYRULNIK, Boris : Psychothérapie de Dieu » (2017).
- DAMASIO, Antonio « L’erreur de Descartes »2001 et « Spinoza avait raison ».
- DAWKINS, Richard : « Pour en finir avec dieu », R. Laffont 2008
- de PRACONTAL, Michel : « L'imposture scientifique en dix leçons » Ed. du Seuil 2005.
- DECHARNEUX, Baudouin : La religion existe-t-elle ? » (Essai sur une idée prétendument universelle). Ed. L'Académie en poche, 2012.
- Dictionnaire de Psychologie et psychopathologie des religions (2013) Gumpper & Rausky.
- FREUD, Sigmund : « L'avenir d'une illusion » PUF 1948.
- GEERTS, Nadia : « La neutralité n'est pas neutre ». La Muette 2012.
- GUEGUEN, Catherine, pédiatre : Le cerveau de l’enfant (extraits de conférences)
- HARARI, Yuval Noah : « Sapiens » (2015) et Homo Deus » (2017). Albin Michel.
- HERVIEU-LEGER, Danielle : « La religion en miettes ou la question des sectes ». Calman-Lévy 2001.
- JEAN-BAPTISTE, Patrick « La biologie de dieu » 2003 Agnès Viénot 2003.
- LABORIT, Henri « Une vie » 1996 « Derniers entretiens », « Eloge de la fuite » Laffont 1976,« Dieu ne joue pas aux dés ». Grasset 1987.
- Le Grand Larousse du cerveau (2010).
- LEDOUX, Joseph « Émotion, mémoire et cerveau » 1994
- MacLEAN , Paul « Les trois cerveaux de l’homme » 1990.
- MALKIN Vitaly: Illusions dangereuses ». (chez Herman). (2018).
- NEFONTAINE, Luc : notamment « La Franc-maçonnerie : une fraternité révélée », 2008, « Hérésie, mode d'emploi » 2016, etc.
- ONFRAY, Michel : « Athéologie », « Contre-histoire de la philosophie ».En Poche 2009.
- PERSINGER, Mickaël « On the possibility of directly accessing every human brain by electromagnetic induction of fundamental algorythms ».1995.
- PLANTINGA, Alvin (théiste) : « Warrant and Proper Function » (1993).
- RAMACHANDRAN, V.S. « Le fantôme intérieur ». Odile Jacob 2002.
- RINGLET, Gabriel, ancien vice et pro-recteur de l'UCL : « L'évangile d'un libre-penseur ».
- RIPOLL, Thierry : « De l'esprit au cerveau » Éditions Sciences Humaines 2018.
- RIXHON, Noël, ancien prêtre athée : « L'absence d'être de Dieu ». 2006, « Le curé Meslier : Dieu n'est pas », « Conscience athée » 2013, où je suis cité en annexe.
- SAROGLOU , Vassilis (son successeur) & HUTSEBAUT, D :
- SAROGLOU, Vassilis dans Cerveau et Psycho n° 40 : « La religion est-elle innée ? ».
- SAVER John & John RABIN « The neural substrates of religion experience » 1997.
- VERGOTE, Antoine, chanoine, « Psychologie religieuse », du, Ed. Dessart 1966, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain.1966.
- Via Internet : « Le cerveau à tous les niveaux ». etc.
- VINCENT, Jean-Didier : « Voyage extraordinaire au centre du cerveau » Odile Jacob 2007, et avec Jules FERRY : « Qu'est-ce que l'homme ? » Odile Jacob, août 2001.
- VUILLAUME, Laurène, Émile CASPA, Axel CLEEREMANS : Les bases neurales du sentiment religieux » 2017.
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